Pierre Combes daudou (1589-1670?)
 

1. Un baptême à Ste Eulalie (1589)

En descendant de Malescombes, après le village bas, on suit le ruisseau de Serres profondément enfoncé dans une végétation luxuriante qui le rend invisible. Le chemin tourne vers la gauche à la hauteur de Lundanne dont on aperçoit les bâtisses en contrebas, et continue de descendre. Moins d'un kilomètre avant Ste Eulalie on trouve le Mas de Barthe et ses moulins à tanin et à huile. 
C'est là que ce jour du mois de mai 1589, Pierre Coste, le propriétaire, sort de sa maison. C'est un homme aisé. Notaire pendant une vingtaine d'années, il a maintenant laissé la charge à son fils Guillaume. Ce matin, il a mis son grand chapeau noir et sa cape bien chaude : les matinées sont encore fraîches. Son ami Pierre Combes baptise son fils et l'a demandé comme parrain. En passant dans les rues de Ste Eulalie, Pierre Coste salue plusieurs paysans qui sont venus de Malescombes, ils parlent des semailles de chanvre du mois dernier. Il y a comme ça un groupe d'une quinzaine de personnes qui bientôt se retrouvent devant l'église.
Le père porte l'enfant dans les bras. Il est bien serré dans ses linges. Le groupe entre dans l'église, descend les quelques marches et va sur la gauche retrouver le curé près du baptistère.
En différents endroits de l'église sont placés des étais et des échafaudages : on essaie de réparer les dégâts de l'année précédente. En effet, il y a juste un an, le 18 mai, les calvinistes de Millau ont traversé Ste Eulalie et incendié l'église. Heureusement, ils avaient fort à faire plus loin, et ils ont rapidement quitté le village, aussi les habitants se sont précipités pour circonscrire le feu avant que les dégâts soient irréparables.
En septembre, toujours l'année dernière, est arrivé une compagnie de soldats des armées du roi qui devaient être logés à St Geniez. Ces hommes ont apporté la peste. Il y a eu 700 morts à St Geniez en octobre et quelques centaines à Ste Eulalie. On dit qu'à St Côme, 2400 personnes en sont mortes.
Une naissance c'est la vie qui s'accroche, malgré la guerre civile, malgré les épidémies.

Nous sommes en pleine guerre de religion.
Il y a six mois qu'Henri III a fait assassiner le duc de Guise. La ligue s'est retournée contre lui et le roi cherche à s'allier Henri de Navarre pour reconquérir Paris. Mais le roi sera assassiné dans quelques mois et Navarre deviendra Henri IV. L'édit de Nantes est publié le 13 mai 1598, mais les troubles continuent encore longtemps.

2. Sous le bon roi Henri

Printemps 1602 dans une taverne de Ste Eulalie :

Valéry - Le roi Henri voyage dans ses provinces, il y en a beaucoup qui disent qu'il va encore faire peser des impôts sur les pauvres gens !
Sannier - On parle de l'impôt de "la pancarte", une taxe d'un sol pour une livre, et puis la gabelle là où on ne la paie pas, et puis la taille de 1594, 95 et 96 qu'on n'a pas pu donner à cause de la misère... il va nous la réclamer !
Valéry - Il avait promis de l'abandonner entièrement...
Blanc - Vous ne comprenez pas qu'il y a des seigneurs qui veulent vous soulever contre le Roi ?
Sannier - Qu'est-ce que tu veux dire ?
Blanc - Les ennemis du Roi et de Sully font des racontars dans les provinces pour exciter à la révolte. Moi je vous dis que ce roi-là n'est pas un mauvais roi, et qu'il faudra se méfier des seigneurs quand il ne sera plus là... Dieu le garde !

Avant la fin de l'année, Henri IV fait arrêter et exécuter le maréchal de Biron, le principal responsable de la conjuration de plusieurs grands seigneurs.

Octobre 1608 : grandes inondations en Rouergue. Des ponts sont emportés, des maisons construites sur le bord du Lot s'effondrent dans la rivière.

Prône du prieur de Ste Eulalie au début de l'année 1610 :

«- Mes frères,
les élus des Etats du Rouergue se sont réunis à Rodez. Ils ont exprimé leur inquiétude au sujet des impôts très lourds que notre province supporte. Ils se sont alarmés de la situation des pauvres paysans désespérés par les charges impossibles à payer. Personne ne peut penser que notre roi Henri reste insensible à la situation de notre pays. Aussi, les Etats du Rouergue ont délégué Monseigneur de Corneillan, votre évêque pour qu'il obtienne du roi la suppression de la crûe sur le sel, impôt injustement payé par notre province. Il demandera également que les sommes déjà payées les années précédentes pour cet impôt soient restituées.»

Au printemps, les nouvelles de cette négociation sont bonnes : il semble bien que l'on s'achemine vers un accord du roi.

14 mai 1610 : Ravaillac assassine le roi en pleine ville de Paris. La demande du Rouergue n'a pas pu obtenir satisfaction à temps. La déception est immense.

3. Guerres et pestes

Quelques années plus tard, dans l'église de Ste Eulalie Pierre Combes "Daudou" épouse Catherine Blanque la fille de Pierre Blanc.

Plusieurs soulèvements des nobles du Languedoc et de Guyenne sont conduits par le Prince de Condé, puis par la reine mère elle-même.
Le 11 février 1618 : jean d'Arpajon, ancien sénéchal du Rouergue écrit aux consuls de Rodez pour leur faire part du danger de guerre intérieur où est la province. C'est en effet ce qui se passa pendant plusieurs années en différents endroits de la province : calvinistes et catholiques se combattaient. Ste Eulalie ne recueillit que l'écho des combats.
5 février 1626 : la paix est conclue à Paris entre les princes calvinistes et les catholiques.

Au début de l'été 1628...

Après plusieurs semaines humides, ce matin, l'air est moite et déjà un peu chaud. Place du Sol de la Rente un groupe de femmes entoure un voyageur...
Il croit faire œuvre utile ce colporteur qui arrive de Réquistat : en proposant ses mouchoirs, ses petits miroirs et autres ustensiles de beauté, il annonce qu'à Villefranche la peste a tué 8000 habitants. Après un grand silence où l'on sent un frisson de terreur circuler, tout le monde s'éloigne de lui, l'insulte, lui jette des cailloux. Porteur de mauvaise nouvelle, on le soupçonne de porter aussi la maladie. Il n'a que le temps de fuir, pourchassé dans les rues jusqu'à la dernière maison.
A la messe, le curé enjoint les habitants de prendre des précautions. Les mois se succèdent avec leur cortège de terribles annonces : des hameaux se vident, des paysans affamés circulent sur les chemins, des orphelins se terrent dans les bois.
Pierre, le deuxième fils de Pierre Combes "daudou" et de Catherine Blanque naît le 18 décembre de l'année suivante. La peste rôde encore. Chaque voyageur qui passe est suspect, chaque déplacement demande d'infinies précautions et beaucoup de patience. Les villes se ferment, même les maisons amies n'ouvrent pas facilement leurs portes. Exacerbés par la méfiance, des hommes affolés se battent entre eux. Il faut attendre 1630 pour que l'épidémie cesse.

19 mai 1635 : le roi Louis XIII déclare la guerre à l'Espagne.
1638 : l'arrière-ban du Rouergue est convoqué : on lève des troupes pour le prince de Condé qui fait le siège de Fontarabie. Le siège est levé le 7 septembre.

4. Le temps des croquants (1643-1656)

Ce dimanche 25 janvier 1643, Pierre Combes dit "daudou" jette un oeil sur son dernier fils, Guillaume, qui vient tout juste de s'endormir après avoir tété le sein de sa mère. La petite servante remonte la couverture de laine sur l'enfant. Pierre descend l'étroit escalier en baissant la tête à la hauteur du plafond du rez-de-chaussée, se couvre d'une cape épaisse et rejoint sa femme Catherine et ses autres enfants qui l'attendent devant la maison. Ils habitent presque au bord du ruisseau de Serres  . La petite place du Tarral est balayée par un vent glacé. En trois pas ils arrivent sur la place du cimetière dont la grille est ouverte. Comme le vent fait cogner un battant contre le mur, Pierre pousse du pied un caillou pour l'immobiliser. Un homme arrive derrière lui, il lui glisse : «la grille elle est pas seule à grincer !». Pierre se retourne, c'est Sagnier. Tout en parlant ils avancent vers l'entrée de l'église. «De partout dans le pays les hommes refusent de porter la taille. Ceux d'Espalion ils disent qu'en 25 ans la cote est passée de 1200 livres à 7000 livres.» «Et pourquoi autant ? » demande Pierre, « Pour faire belle la cathédrale à Rodez et pour finir le palais de Monseigneur l'Evêque à Vabres ! Les gens d'Espalion ils disent qu'il faut refuser l'impôt ! ».
Messire Pierre Carrie, le curé, n'est pas encore prêt. Il cause avec le seigneur à l'entrée de la sacristie, là-bas à droite. Pierre laisse sa femme et ses enfants sur le côté des femmes et se glisse contre le mur de gauche. Son frère, le mayrissou, lui aussi a des nouvelles : « Layral a ferré le cheval d'un messager, ceux d'Espalion sont en route pour venir par ici. ». La messe commence. Les hommes croisent leur regard, chacun cherchant à savoir ce que l'autre pense. Au prône, le curé parle de l'honnêteté de l'apôtre Paul qui fit parvenir à Jérusalem le produit d'une collecte. Tout le monde sent où il veut en venir. Une voix s'élève : « c'était de l'argent pour les pauvres, pas pour bâtir des palais ! ». Il y a un grand silence, puis le curé reprend : « Des croquants soulèvent les paysans contre les percepteurs de la taille, ce serait une grande folie de les écouter ! ». Maintenant toute l'église murmure, autant du côté des femmes que de celui des hommes. A la fin de la messe, sans saluer personne, sans avoir aucun regard pour le peuple debout dans l'église, Jean de Curières et son épouse sortent de leurs bancs aux grands dossiers et traversent la nef rapidement. Le seigneur a la bouche pincée et le front dur.
Quelques jours plus tard, sans même passer par Ste Eulalie, les croquants d'Espalion arrivent à St Geniez. Des habitants déjà préparés et échauffés les conduisent à la maison de Dumas, le collecteur d'impôts. Les impôts tuent le petit peuple, et, dans le mouvement de révolte, on ne se contente pas de hurler son désespoir au sieur Dumas, on l'envoie débouler dans sa cour, puis on pille sa maison.
Ailleurs, des bandes surgies des campagnes veulent entrer dans Rodez; l'armée les disperse. En été, les choses deviennent encore plus sérieuses à l'autre bout du Rouergue : près de dix mille hommes font de Villefranche leur fief. Les paysans espèrent que le roi entende l'appel des pauvres, mais, dès l'automne, l'espoir s'écroule. L'armée du roi prend Villefranche, le 2 octobre on exécute les principaux meneurs de la révolte. Louis le treizième est en train de mourir. Anne d'Autriche devient régente du royaume.
L'année suivante, un des croquants qui avaient pillé la maison Dumas est pendu place du Foiral à St Geniez.

1650-1653 : c'est la Fronde. Une guerre civile se déclenche. Le Prince de Condé s'allie avec l'Espagne toujours en guerre avec la France. Le cardinal Mazarin s'exile deux fois pour apaiser la situation. La victoire revient finalement au Cardinal et au pouvoir royal, bien que le jeune Louis XIV n'exerce pas encore son pouvoir.
 
 
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